20 – La petite voiture – Les Malheurs de Sophie

مواضيع عامة

20 – La petite voiture – Les Malheurs de Sophie

Les Malheurs de Sophie XX – La petite voiture.
Ecouter

Sophie, voyant que sa maman ne lui laissait pas monter lâne, dit un jour à Paul:

«Puisque nous ne pouvons pas monter notre âne, Paul, attelons-le à notre petite voiture; nous mènerons chacun notre tour.»

PAUL. – Je ne demande pas mieux; mais ma tante le permettra-t-elle?

SOPHIE. – Va le lui demander. Je nose pas.

Paul courut chez sa tante et lui demanda la permission datteler lâne.

Mme de Réan y consentit à la condition que la bonne irait avec eux. Quand Paul le dit à Sophie, elle grogna.

«Cest ennuyeux davoir ma bonne, dit-elle; elle a toujours peur de tout; elle ne nous laissera pas aller au galop.»

PAUL. – Oh! mais il ne faut pas aller au galop; tu sais que ma tante le défend.

Sophie ne répondit pas, et bouda pendant que Paul courait chercher la bonne et faire atteler lâne. Une demi-heure après, lâne était à la porte avec la voiture.

Sophie monta dedans toujours boudant; elle fut maussade pendant toute la promenade, malgré les efforts du pauvre Paul pour la rendre gaie et aimable. Enfin il lui dit:

«Ah! tu mennuies avec tes airs maussades! Je men vais à la maison: cela mennuie de parler tout seul, de jouer seul, de regarder ta figure boudeuse.»

Et Paul dirigea lâne du côté de la maison. Sophie continuait à bouder. Quand ils arrivèrent, elle descendit, accrocha son pied au marchepied et tomba. Le bon Paul sauta à terre et laida à se relever: elle ne sétait pas fait mal, mais la bonté de Paul la toucha et elle se mit à pleurer.

«Tu tes fait mal, ma pauvre Sophie? disait Paul en lembrassant. Appuie-toi sur moi; naie pas peur, je te soutiendrai bien.»

– Non, mon cher Paul, répondit Sophie en sanglotant; je ne me suis pas fait mal; je pleure de repentir; je pleure parce que jai été méchante pour toi, qui es toujours si bon pour moi.

PAUL. – Il ne faut pas pleurer pour cela, ma pauvre Sophie. Je nai pas de mérite à être bon pour toi, parce que je taime et quen te faisant plaisir je me fais plaisir à moi-même.

Sophie se jeta au cou de Paul et lembrassa en pleurant plus fort. Paul ne savait plus comment la consoler; enfin il lui dit:

«Écoute, Sophie, si tu pleures toujours, je vais pleurer aussi: cela me fait de la peine de te voir du chagrin.»

Sophie essuya ses yeux et lui promit, en pleurant toujours, de ne plus pleurer.

«Oh! Paul! lui dit-elle, laisse-moi pleurer; cela fait du bien; je sens que je deviens meilleure.»

Mais, quand elle vit que les yeux de Paul commençaient aussi à se mouiller de larmes, elle sécha les siens, elle reprit un visage riant, et ils montèrent ensemble dans leur chambre, où ils jouèrent jusquau dîner.

Le lendemain, Sophie proposa une nouvelle promenade en voiture à âne. La bonne lui dit quelle avait à savonner et quelle ne pourrait pas y aller. La maman et la tante étaient obligées daller faire une visite à une lieue de là, chez Mme de Fleurville.

«Comment allons-nous faire?» dit Sophie dun air désolé.

– Si jétais sûre que vous soyez tous deux bien sages, dit Mme de Réan, je vous permettrais daller seuls; mais toi, Sophie, tu as toujours des idées si singulières, que jai peur dun accident causé par une idée.

SOPHIE. – Oh non! maman, soyez tranquille! Je naurai pas didée, je vous assure. Laissez-moi aller seuls tous les deux: lâne est si doux!

MADAME DE RÉAN. – Lâne est doux quand on ne le tourmente pas; mais, si tu te mets à le piquer comme tu as fait lautre jour, il fera culbuter la voiture.

PAUL. – Oh! ma tante, Sophie ne recommencera pas… ni moi non plus; car jai mérité dêtre grondé autant quelle, puisque je lai aidée à percer son soulier avec lépingle.

MADAME DE RÉAN. – Voyons, je veux bien vous laisser aller seuls, mais ne sortez pas du jardin; nallez pas sur la grandroute, et nallez pas trop vite.

– Merci maman, merci ma tante, sécrièrent les enfants; et ils coururent à lécurie pour atteler leur âne. Quand il fut prêt, ils virent arriver les deux petits garçons du fermier qui revenaient de lécole. «Vous allez promener en voiture, msieur?» dit laîné, qui sappelait André.

PAUL. – Oui; veux-tu venir avec nous?

ANDRÉ. – Je ne peux pas laisser mon frère, msieur!

SOPHIE. – Eh bien! emmène ton frère avec toi.

ANDRÉ. – Je veux bien, mamzelle: merci bien.

SOPHIE. – Voyons, qui est-ce qui monte sur le siège pour mener.

PAUL. – Si tu veux commencer, voilà le fouet.

SOPHIE. – Non, jaime mieux mener plus tard, quand lâne sera un peu fatigué et moins vif.

Les enfants montèrent tous les quatre dans la voiture; ils se promenèrent pendant deux heures, tantôt au pas, tantôt au trot; ils menaient chacun à leur tour, mais lâne commençait à se fatiguer; il ne sentait pas beaucoup le petit fouet avec lequel les enfants le tapaient, de sorte quil ralentissait de plus en plus, malgré les coups de fouet et les hue hue donc! de Sophie, qui menait.

ANDRÉ. – Ah! mamzelle, si vous voulez le faire marcher, je vais vous avoir une branche de houx; en tapant avec, il marchera, bien sûr.

SOPHIE. – Cest une bonne idée cela; nous allons le faire marcher, ce paresseux, dit Sophie.

Elle arrêta; André descendit et alla casser une grosse branche de houx, qui était au bord du chemin.

«Prends garde, Sophie, dit Paul; tu sais que ma tante a défendu de piquer lâne.»

SOPHIE. – Tu crois que le houx va le piquer comme lépingle de lautre jour? il ne le sentira pas seulement.

PAUL. – Alors pourquoi as-tu laissé André casser cette branche de houx?

SOPHIE. – Parce quelle est plus grosse que notre fouet.


Et Sophie donna un grand coup sur le dos de lâne, qui prit le trot. Sophie, enchantée davoir réussi, lui en donna un second coup, puis un troisième; lâne trottait de plus en plus fort. Sophie riait, les deux petits fermiers aussi. Paul ne riait pas: il était un peu inquiet, et il craignait quil narrivât quelque chose et que Sophie ne fût grondée et punie. Ils arrivaient à une descente longue et assez raide. Sophie redouble de coups; lâne simpatiente et part au galop. Sophie veut larrêter, mais trop tard; lâne était emporté et courait tant quil avait de jambes. Les enfants criaient tous à la fois, ce qui effrayait lâne et le faisait courir plus fort! Enfin il passa sur une grosse motte de terre, et la voiture versa; les enfants restèrent par terre, et lâne continua de traîner la voiture renversée jusquà ce quelle fût brisée.

La voiture était si basse que les enfants ne furent pas blessés, mais ils eurent tous le visage et les mains écorchés. Ils se relevèrent tristement; les petits fermiers sen allèrent à la ferme; Sophie et Paul retournèrent à la maison. Sophie était honteuse et inquiète; Paul était triste. Après avoir marché quelque temps sans rien dire, Sophie dit à Paul:

«Oh! Paul, jai peur de maman! Que va-t-elle me dire?»

PAUL, tristement. – Quand tu as pris ce houx, je pensais bien que tu ferais du mal à ce pauvre âne; jaurais dû te le dire plus vivement, tu maurais peut-être écouté.

SOPHIE. – Non, Paul, je ne taurais pas écouté, parce que je croyais que le houx ne pouvait pas piquer à travers les poils épais de lâne. Mais que va dire maman?

PAUL. – Hélas! Sophie, pourquoi es-tu désobéissante? Si tu écoutais ma tante, tu serais moins souvent punie et grondée.

SOPHIE. – Je tâcherai de me corriger; je tassure que je tâcherai. Cest que cest si ennuyeux dobéir!

PAUL. – Cest bien plus ennuyeux dêtre puni. Et puis, jai remarqué que les choses quon nous défend sont dangereuses; quand nous les faisons, il nous arrive toujours quelque malheur, et, après, nous avons peur de voir ma tante et maman.

SOPHIE. – Cest vrai! Ah! mon Dieu! Voilà maman qui arrive! Entends-tu la voiture? Courons vite, pour rentrer avant quelle ne nous voie.

Mais ils eurent beau courir, la voiture marchait plus vite queux; elle arrêtait devant le perron au moment où les enfants y arrivaient.

Mme de Réan et Mme dAubert virent tout de suite les écorchures du visage et des mains.

«Allons! Voilà encore des accidents! sécria Mme de Réan. Que vous est-il arrivé?»

SOPHIE. – Maman, cest lâne.

MADAME DE RÉAN. – Jen étais sûre davance; aussi ai-je été inquiète tout le temps de ma visite. Mais cet âne est donc enragé? Qua-t-il fait pour que vous soyez écorchés ainsi?

SOPHIE. – Il nous a versés, maman, et je crois que la voiture est un peu cassée, car il a continué à courir après quelle a été renversée.

MADAME DAUBERT. – Je suis sûre que vous avez eu encore quelque invention qui aura taquiné ce pauvre âne!

Sophie baisse la tête et ne répond pas. Paul rougit et ne dit rien.

«Sophie, dit Mme de Réan, je vois à vos mines que ta tante a deviné. Dis la vérité, et raconte-nous ce qui est arrivé.»

Sophie hésita un instant; mais elle se décida à dire la vérité, et elle la raconta tout entière à sa maman et à sa tante.

«Mes chers enfants, dit Mme de Réan, depuis que vous avez cet âne, il vous arrive sans cesse des malheurs, et Sophie a continuellement des idées qui nont pas le sens commun. Je vais donc faire vendre ce malheureux animal, cause de tant de sottises.»

SOPHIE et PAUL, ensemble. – Oh! maman, oh! ma tante, je vous en prie, ne le vendez pas. Jamais nous ne recommencerons, jamais.

MADAME DE RÉAN. – Vous ne recommencerez pas la même sottise; mais Sophie en inventera dautres, peut-être plus dangereuses que les premières.

SOPHIE. – Non, maman, je vous assure que je ne ferai que ce que vous me permettrez; je serai obéissante, je vous le promets.

MADAME DE RÉAN. – Je veux bien attendre quelques jours encore; mais je vous préviens quà la première idée de Sophie vous naurez plus dâne.

Les enfants remercièrent Mme de Réan, qui leur demanda où était lâne. Ils se rappelèrent alors quil avait continué à courir, traînant après lui la voiture renversée.

Mme de Réan appela Lambert, lui raconta ce qui était arrivé, et lui dit daller voir où était cet âne. Lambert y courut; il revint une heure après: les enfants lattendaient.

«Eh bien! Lambert?» sécrièrent-ils ensemble.

LAMBERT. – Eh bien! monsieur Paul et mademoiselle Sophie, il est arrivé malheur à votre âne.

SOPHIE et PAUL, ensemble. – Quoi? Quel malheur?

LAMBERT. – Il paraîtrait que la peur la prise, cette pauvre bête; il a toujours couru du côté de la route; la barrière était ouverte; il sy est précipité; la diligence arrivait tout juste comme il traversait la grandroute; le conducteur na pas pu arrêter à temps ses chevaux, qui ont culbuté lâne et la voiture; ils ont piétiné dessus; ils sont tombés; ils ont failli faire verser la diligence. Quand on les a relevés et dételés, lâne était écrasé, mort; il ne remuait pas plus quune pierre.

Aux cris que poussèrent les enfants, les mamans et tous les domestiques accoururent: Lambert raconta de nouveau le malheur arrivé au pauvre âne. Les mamans emmenèrent Sophie et Paul pour tâcher de les consoler; mais ils eurent de la peine, tant ils étaient affligés. Sophie se reprochait davoir été cause de la mort de son âne; Paul se reprochait davoir laissé faire Sophie; la journée sacheva fort tristement. Longtemps après, Sophie pleurait quand elle voyait un âne qui ressemblait au sien. Elle nen voulut plus avoir, et elle fit bien, car sa maman ne voulait plus lui en donner.