16 – Les fruits confits – Les Malheurs de Sophie

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16 – Les fruits confits – Les Malheurs de Sophie

Les Malheurs de Sophie XVI – Les fruits confits.
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Sophie rentrait de la promenade avec son cousin Paul. Dans le vestibule attendait un homme qui semblait être un conducteur de diligence et qui tenait un paquet sous le bras.

«Qui attendez-vous, monsieur?» lui dit Paul très poliment.

LHOMME. – Jattends Mme de Réan, monsieur; jai un paquet à lui remettre.

SOPHIE. – De la part de qui?

LHOMME. – Je ne sais pas, mademoiselle, jarrive de la diligence; le paquet vient de Paris.

SOPHIE. – Mais quest-ce quil y a dans le paquet?

LHOMME. – Je pense que ce sont des fruits confits et des pâtes dabricots. Du moins cest comme cela quils sont inscrits sur le livre de la diligence.

Les yeux de Sophie brillèrent; elle passa sa langue sur ses lèvres.

«Allons vite prévenir maman», dit-elle à Paul; et elle partit en courant. Quelques instants après, la maman arriva, paya le port du paquet et lemporta au salon, où la suivirent Sophie et Paul. Ils furent très attrapés quand ils virent Mme de Réan poser le paquet sur la table et retourner à son bureau pour lire et écrire.

Sophie et Paul se regardèrent dun air malheureux.

«Demande à maman de louvrir», dit tout bas Sophie à Paul.

PAUL, tout bas. – Je nose pas; ma tante naime pas quon soit impatient et curieux.

SOPHIE, tout bas. – Demande-lui si elle veut que nous lui épargnions la peine douvrir le paquet en louvrant nous-mêmes.

LA MAMAN. – Jentends très bien ce que vous dites, Sophie; cest très mal de faire la fausse, de faire semblant dêtre obligeante et de vouloir mépargner un ennui, quand cest tout bonnement par curiosité et par gourmandise que tu veux ouvrir ce paquet. Si tu mavais dit franchement: «Maman, jai envie de voir les fruits confits, permettez-moi de défaire le paquet», je te laurais permis. Maintenant je te défends dy toucher. 

Sophie, confuse et mécontente, sen alla dans sa chambre, suivie de Paul.

«Voilà ce que cest que davoir voulu faire des finesses, lui dit Paul. Tu fais toujours comme cela, et tu sais que ma tante déteste les faussetés.»

SOPHIE. – Pourquoi aussi nas-tu pas demandé tout de suite quand je te lai dit? Tu veux toujours faire le sage et tu ne fais que des bêtises.

PAUL. – Dabord je ne fais pas de bêtises; ensuite je ne fais pas le sage. Tu dis cela parce que tu es furieuse de ne pas avoir les fruits confits.

SOPHIE. – Pas du tout, monsieur, je ne suis furieuse que contre vous, parce que vous me faites toujours gronder.

PAUL. – Même le jour où tu mas si bien griffé?

Sophie, honteuse, rougit et se tut. Ils restèrent quelque temps sans se parler; Sophie aurait bien voulu demander pardon à Paul, mais lamour-propre lempêchait de parler la première. Paul, qui était très bon, nen voulait plus à Sophie; mais il ne savait comment faire pour commencer la conversation. Enfin, il trouva un moyen très habile: il se balança sur sa chaise, et il se pencha tellement en arrière, quil tomba. Sophie accourut pour laider à se relever.

«Tu tes fait mal, pauvre Paul?» lui dit-elle.

PAUL. – Non, AU CONTRAIRE.

SOPHIE, riant. – Ah! au contraire. Cest assez drôle, cela.

PAUL. – Oui! puisquen tombant jai fait finir notre querelle.

SOPHIE, lembrassant. – Mon bon Paul, comme tu es bon! Cest donc exprès que tu es tombé? tu aurais pu te faire mal.

PAUL. – Non; comment veux-tu quon se fasse mal en tombant dune chaise si basse? À présent que nous sommes amis, allons jouer.

Et ils partirent en courant. En traversant le salon, ils virent le paquet toujours ficelé. Paul entraîna Sophie, qui avait bien envie de sarrêter, et ils ny pensèrent plus.

Après le dîner, Mme de Réan appela les enfants.

«Nous allons enfin ouvrir le fameux paquet, dit-elle, et goûter à nos fruits confits. Paul, va me chercher un couteau pour couper la ficelle.» Paul partit comme un éclair et rentra presque au même instant, tenant un couteau, quil présenta à sa tante.

Mme de Réan coupa la ficelle, défit les papiers qui enveloppaient les fruits, et découvrit douze boîtes de fruits confits et de pâtes dabricots.

«Goûtons-les pour voir sils sont bons, dit-elle en ouvrant une boîte. Prends-en deux, Sophie; choisis ceux que tu aimerais le mieux. Voici des poires, des prunes, des noix, des abricots, du cédrat, de langélique.»

Sophie hésita un peu; elle examinait lesquels étaient les plus gros; enfin elle se décida pour une poire et un abricot. Paul choisit une prune et de langélique. Quand tout le monde en eut pris, la maman ferma la boîte, encore à moitié pleine, la porta dans sa chambre et la posa sur le haut dune étagère. Sophie lavait suivie jusquà la porte.

En revenant, Mme de Réan dit à Sophie et à Paul quelle ne pourrait pas les mener promener, parce quelle devait faire une visite dans le voisinage.

«Amusez-vous pendant mon absence, mes enfants; promenez-vous, ou restez devant la maison, comme vous voudrez.»

Et, les embrassant, elle monta en voiture avec M. et Mme dAubert et M. de Réan.

Les enfants restèrent seuls et jouèrent longtemps devant la maison. Sophie parlait souvent de fruits confits.

«Je suis fâchée, dit-elle, de navoir pas pris dangélique ni de prune; ce doit être très bon.

– Oui, cest très bon, répondit Paul, mais tu pourras en manger demain; ainsi ny pense plus, crois-moi, et jouons.»

Ils reprirent leur jeu, qui était de linvention de Paul. Ils avaient creusé un petit bassin et ils le remplissaient deau; mais il fallait en remettre toujours, parce que la terre buvait leau à mesure quils la versaient. Enfin, Paul glissa sur la terre boueuse et renversa un arrosoir plein sur ses jambes.

«Aïe, aïe! sécria-t-il, comme cest froid! Je suis trempé; il faut que jaille changer de souliers, de bas, de pantalon. Attends-moi là, je reviendrai dans un quart dheure.»

Sophie resta près du bassin, tapotant leau avec sa petite pelle, mais ne pensant ni à leau, ni à la pelle, ni à Paul. À quoi pensait-elle donc? Hélas! Sophie pensait aux fruits confits, à langélique, aux prunes; elle regrettait de ne pas pouvoir en manger encore, de navoir pas goûté à tout.

«Demain, pensa-t-elle, maman men donnera encore; je naurai pas le temps de bien choisir. Si je pouvais les regarder davance, je remarquerais ceux que je prendrai demain… Et pourquoi ne pourrais-je pas les regarder? Je nai quà ouvrir la boîte.»

Voilà Sophie, bien contente de son idée, qui court à la chambre de sa maman et qui cherche à atteindre la boîte; mais elle a beau sauter, allonger le bras, elle ne peut y parvenir; elle ne sait comment faire; elle cherche un bâton, une pincette, nimporte quoi, lorsquelle se tape le front avec la main en disant:

«Que je suis donc bête! je vais approcher un fauteuil et monter dessus!»

Sophie tire et pousse un lourd fauteuil tout près de létagère, grimpe dessus, atteint la boîte, louvre et regarde avec envie les beaux fruits confits. «Lequel prendrai-je demain?» dit-elle. Elle ne peut se décider: cest tantôt lun, tantôt lautre. Le temps se passait pourtant; Paul allait bientôt revenir.

«Que dirait-il sil me voyait ici? pensa-t-elle. Il croirait que je vole les fruits confits, et pourtant je ne fais que les regarder… Jai une bonne idée: si je grignotais un tout petit morceau de chaque fruit, je saurais le goût quils ont tous, je saurais lequel est le meilleur, et personne ne verrait rien, parce que jen mordrais si peu que cela ne paraîtrait pas.»

Et Sophie mordille un morceau dangélique, puis un abricot, puis une prune, puis une noix, puis une poire, puis du cédrat, mais elle ne se décide pas plus quavant.

«Il faut recommencer», dit-elle.

Elle recommence à grignoter, et recommence tant de fois, quil ne reste presque plus rien dans la boîte. Elle sen aperçoit enfin; la frayeur la prend.

«Mon Dieu, mon Dieu! quai-je fait? dit-elle. Je ne voulais quy goûter, et jai presque tout mangé. Maman va sen apercevoir dès quelle ouvrira la boîte; elle devinera que cest moi. Que faire, que faire?… Je pourrais bien dire que ce nest pas moi; mais maman ne me croira pas… Si je disais que ce sont les souris? Précisément, jen ai vu une courir ce matin dans le corridor. Je le dirai à maman; seulement je dirai que cétait un rat, parce quun rat est plus gros quune souris, et quil mange plus, et, comme jai mangé presque tout, il vaut mieux que ce soit un rat quune souris.»

Sophie, enchantée de son esprit, ferme la boîte, la remet à sa place et descend du fauteuil. Elle retourne au jardin en courant; à peine avait-elle eu le temps de prendre sa pelle, que Paul revint.

PAUL. – Jai été bien longtemps, nest-ce pas? cest que je ne trouvais pas mes souliers; on les avait emportés pour les cirer, et jai cherché partout avant de les demander à Baptiste. Quas-tu fait pendant que je ny étais pas?

SOPHIE. – Rien du tout, je tattendais; je jouais avec leau.

PAUL. – Mais tu as laissé le bassin se vider; il ny a plus rien dedans. Donne-moi ta pelle, que je batte un peu le fond pour le rendre plus solide; va pendant ce temps puiser de leau dans le baquet.

Sophie alla chercher de leau pendant que Paul travaillait au bassin. Quand elle revint, Paul lui rendit la pelle et dit:

«Ta pelle est toute poissée; elle colle aux doigts; quest-ce que tu as mis dessus?

– Rien, répondit Sophie; rien. Je ne sais pas pourquoi elle colle.»

Et Sophie plongea vivement ses mains dans larrosoir plein deau, parce quelle venait de sapercevoir quelles étaient poissées.

«Pourquoi mets-tu tes mains dans larrosoir?» demanda Paul.

SOPHIE, embarrassée. – Pour voir si elle est froide.

PAUL, riant. – Quel drôle dair tu as depuis que je suis revenu! On dirait que tu as fait quelque chose de mal.

SOPHIE, troublée. – Quel mal veux-tu que jaie fait! Tu nas quà regarder; tu ne trouveras rien de mal. Je ne sais pas pourquoi tu dis que jai fait quelque chose de mal: tu as toujours des idées ridicules.

PAUL. – Comme tu te fâches! Cest une plaisanterie que jai faite. Je tassure que je ne crois à aucune mauvaise action de ta part, et tu nas pas besoin de me regarder dun air si farouche.

Sophie leva les épaules, reprit son arrosoir et le versa dans le bassin, qui se vida sur le sable. Les enfants jouèrent ainsi jusquà huit heures; les bonnes vinrent les chercher et les emmenèrent. Cétait lheure du coucher.

Sophie eut une nuit un peu agitée; elle rêva quelle était près dun jardin dont elle était séparée par une barrière; ce jardin était rempli de fleurs et de fruits qui semblaient délicieux. Elle cherchait à y entrer; son bon ange la tirait en arrière et lui disait dune voix triste: «Nentre pas, Sophie; ne goûte pas à ces fruits qui te semblent si bons, et qui sont amers et empoisonnés; ne sens pas ces fleurs qui paraissent si belles et qui répandent une odeur infecte et empoisonnée. Ce jardin est le jardin du mal. Laisse-moi te mener dans le jardin du bien. – Mais, dit Sophie, le chemin pour y aller est raboteux, plein de pierres, tandis que lautre est couvert dun sable fin, doux aux pieds. – Oui, dit lange, mais le chemin raboteux te mènera dans un jardin de délices. Lautre chemin te mènera dans un lieu de souffrance, de tristesse; tout y est mauvais; les êtres qui lhabitent sont méchants et cruels; au lieu de te consoler, ils riront de tes souffrances, ils les augmenteront en te tourmentant eux-mêmes.» Sophie hésita; elle regardait le beau jardin rempli de fleurs, de fruits, les allées sablées et ombragées; puis, jetant un coup dœil sur le chemin raboteux et aride qui semblait navoir pas de fin, elle se retourna vers la barrière, qui souvrit devant elle, et, sarrachant des mains de son bon ange, elle entra dans le jardin. Lange lui cria: «Reviens, reviens, Sophie, je tattendrai à la barrière; je ty attendrai jusquà ta mort, et, si jamais tu reviens à moi, je te mènerai au jardin de délices par le chemin raboteux, qui sadoucira et sembellira à mesure que tu y avanceras.» Sophie nécouta pas la voix de son bon ange: de jolis enfants lui faisaient signe davancer, elle courut à eux, ils lentourèrent en riant, et se mirent les uns à la pincer, les autres à la tirailler, à lui jeter du sable dans les yeux.


Sophie se débarrassa deux avec peine, et, séloignant, elle cueillit une fleur dune apparence charmante; elle la sentit et la rejeta loin delle: lodeur en était affreuse. Elle continua à avancer, et, voyant les arbres chargés des plus beaux fruits, elle en prit un et y goûta; mais elle le jeta avec plus dhorreur encore que la fleur: le goût en était amer et détestable. Sophie, un peu attristée, continua sa promenade, mais partout elle fut trompée comme pour les fleurs et les fruits. Quand elle fut restée quelque temps dans ce jardin où tout était mauvais, elle pensa à son bon ange, et, malgré les promesses et les cris des méchants, elle courut à la barrière et aperçut son bon ange, qui lui tendait les bras. Repoussant les méchants enfants, elle se jeta dans les bras de lange, qui lentraîna dans le chemin raboteux. Les premiers pas lui parurent difficiles, mais plus elle avançait et plus le chemin devenait doux, plus le pays lui semblait frais et agréable. Elle allait entrer dans le jardin du bien, lorsquelle séveilla agitée et baignée de sueur. Elle pensa longtemps à ce rêve. «Il faudra, dit-elle, que je demande à maman de me lexpliquer»; et elle se rendormit jusquau lendemain.

Quand elle alla chez sa maman, elle lui trouva le visage un peu sévère; mais le rêve lui avait fait oublier les fruits confits, et elle se mit tout de suite à le raconter.

LA MAMAN. – Sais-tu ce quil peut signifier, Sophie! Cest que le bon Dieu, qui voit que tu nes pas sage, te prévient par le moyen de ce rêve que, si tu continues à faire tout ce qui est mal et qui te semble agréable, tu auras des chagrins au lieu davoir des plaisirs. Ce jardin trompeur, cest lenfer; le jardin du bien, cest le paradis; on y arrive par un chemin raboteux, cest-à-dire en se privant de choses agréables, mais qui sont défendues; le chemin devient plus doux à mesure quon marche, cest-à-dire quà force dêtre obéissant, doux, bon, on sy habitue tellement que cela ne coûte plus dobéir et dêtre bon, et quon ne souffre plus de ne pas se laisser aller à toutes ses volontés.

Sophie sagita sur sa chaise; elle rougissait, regardait sa maman; elle voulait parler; mais elle ne pouvait sy décider. Enfin Mme de Réan, qui voyait son agitation, vint à son aide en lui disant:

«Tu as quelque chose à avouer, Sophie; tu noses pas le faire, parce que cela coûte toujours davouer une faute. Cest précisément le chemin raboteux dans lequel tappelle ton bon ange et qui te fait peur. Voyons, Sophie, écoute ton bon ange, et saute hardiment dans les pierres du chemin quil tindique.»

Sophie rougit plus encore, cacha sa figure dans ses mains et, dune voix tremblante, avoua à sa maman quelle avait mangé la veille presque toute la boîte de fruits confits.

MADAME DE RÉAN. – Et comment espérais-tu me le cacher?

SOPHIE. – Je voulais vous dire, maman, que cétaient les rats qui lavaient mangée.

MADAME DE RÉAN. – Et je ne laurais jamais cru, comme tu le penses bien, puisque les rats ne pouvaient lever le couvercle de la boîte et le refermer ensuite; les rats auraient commencé par dévorer, déchirer la boîte pour arriver aux fruits confits. De plus, les rats navaient pas besoin dapprocher un fauteuil pour atteindre létagère.

SOPHIE, surprise. – Comment! Vous avez vu que javais tiré le fauteuil?

MADAME DE RÉAN. – Comme tu avais oublié de lôter, cest la première chose que jai vue hier en rentrant chez moi. Jai compris que cétait toi, surtout après avoir regardé la boîte et lavoir trouvée presque vide. Tu vois comme tu as bien fait de mavouer ta faute; tes mensonges nauraient fait que laugmenter et tauraient fait punir plus sévèrement. Pour récompenser leffort que tu fais en avouant tout, tu nauras dautre punition que de ne pas manger de fruits confits tant quils dureront.

Sophie baisa la main de sa maman, qui lembrassa; elle retourna ensuite dans sa chambre, où Paul lattendait pour déjeuner.

PAUL. – Quas-tu donc, Sophie? Tu as les yeux rouges.

SOPHIE. – Cest que jai pleuré.

PAUL. – Pourquoi? Est-ce que ma tante ta grondée?

SOPHIE. – Non, mais cest que jétais honteuse de lui avouer une mauvaise chose que jai faite hier.

PAUL. – Quelle mauvaise chose? Je nai rien vu, moi.

SOPHIE. – Parce que je me suis cachée de toi.

Et Sophie raconta à Paul comment elle avait mangé la boîte de fruits confits, après avoir voulu seulement les regarder et choisir les meilleurs pour le lendemain.

Paul loua beaucoup Sophie davoir tout avoué à sa maman.

«Comment as-tu eu ce courage?» dit-il.

Sophie lui raconta alors son rêve, et comment sa maman le lui avait expliqué. Depuis ce jour Paul et Sophie parlèrent souvent de ce rêve, qui les aida à être obéissants et bons.